Introduction au texte de la chanson "Mille Ans Déjà, Comme le Temps Passe"
Tiré du recueil "Chansons que tout cela" de Gilles, nouvelle édition augmentée, paru aux Éditions Rencontre à Lausanne en 1970

En mai 1945, c'est la liquidation. Le Führer sent, du fond de son "bunker", son rêve s'effondrer sur sa tête. Les mille ans de "Pax germanica" qu'il avait prophétisés se sont rétrécis, comme une peau de chagrin... ne sont déjà plus qu'un souvenir.

MILLE ANS DÉJÀ, COMME LE TEMPS PASSE!
(Réflexions du monsieur connu qui voulut changer pour mille ans la face du monde)

Mille ans déjà, comm' le temps passe!
Ah! Mes amis, c'est-il permis ?
Nous qui avions fait le pari,
Dans notre grand' soif d'espace,
D'être en juin quarante à Paris!
Nous y fûmes. Mais c'est fini!
F.f.i. n.i. ni, fini!
Hélas! Hélas! Trois fois hélas !

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Hermann au ciel menait la chasse,
Rotterdam flambait dans la nuit.
Benito attendait sans bruit
Que la France demandât grâce,
Car pour s'éviter des ennuis,
Il ne bouff' que des plats tout cuits.
Adieu: Veni, Vidi, Vichy!
La Riviera et ses palaces.

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Nos docteurs découpaient l'espace
En tranches, ainsi qu'un melon.
On envoyait nos chers colons
Pour coloniser Montparnasse.
Ça marchait avec de Brinon,
Doriot, Laval… quels jolis noms!
Toutes ces dames au salon,
C'était le rendez-vous des grâces.

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Nous avions, pour guider les masses,
En Europe les meilleurs atouts:
Quisling, Degrelle, Antonescu,
Dieudonné à l'œil de putasse,
Déat, Darnand et leurs voyous,
Et des Farinacci partout!
Vite! Un doctur, j'ai mal au cou,
Et je sens ma voix qui se casse.

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Et pourtant nous étions tenaces.
Kolossale organisation!
Déportations, démolitions!
Et nous passions de la menace
À l'action, sans hésitation,
Plus forts pour les exécutions
Que la très sainte Inquisition!
Travail soigné, propre et sans traces!

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

"De l'audac', toujours de l'audac!"
C'était, Benito, ton slogan,
Souviens-toi de ce cheval blanc
Que tu fis seller, perspicace,
Pour entrer solennellement,
À la têt' de tes régiments,
Dans Alexandrie, au printemps!
Qu'est-c' qu'on a fait comm' volte-face!

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Pourtant notre vol de rapaces
Devait nous amener rondo
Aux Indes près du Mikado,
Pour prendre avec lui quelques tasses
De thé de Chine, en kimono!
On se serait fait des cadeaux!
Hélas, ces projets sont à l'eau,
C'est du bouillon qu'on boit… en tasse!

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Pauvre Benito! Quelle disgrâce!
Nous sommes moins mirobolants,
En établilssant ton bilan,
Je te vois faire la grimace,
Tu pourras dir' dans un moment,
Quand l'ennemi, d'un seul élan,
Fera son entrée à Milan,
"Hélas! Hélas! Trois fois hélas!"

Mille ans déjà, comm' le temps passe!
Tout passe, hélas! Hélas! Tout lasse!
Qui trop embrasse, mal étreint.
Nous y perdons notre latin.
On voit se réduir' son espace.
Adieu Moscou, El Alamein,
Londr's, Athènes, Paris!
Demain ces idiots seront à Berlin,
Défilant dans la Wilhelmstrasse!

Mille ans déjà, comm' le temps passe!

Lausanne, mai 1944
© Fondation Jean Villard-Gilles