Introduction au texte de la chanson "La Belle France"
In "Chansons que tout cela" de Gilles, nouvelle édition augmentée, paru aux Éditions Rencontre à Lausanne en 1970

1935-1936. Hitler hurle dans les micros du IIIe Reich. Benito et ses chemises noires se jettent avec des avions bourrés de bombes incendiaires sur l'Abyssinie qui se défend à coups de chassepots. Ignoble massacre applaudi par toute la réaction. Vague sursaut de la Société des Nations qui retombe aussitôt dans sa torpeur.
Mais en 1936, la France se met à bouger. Les élections voient le triomphe de la gauche. C'est le Front populaire. Le Front popu comme le désignera désormais en ricanant la presse de droite qui ne l'a pas encore digéré, et dont le seul souvenir fait encore trembler les possédants. Le nouveau gouvernement réalise des réformes sociales importantes, nationalisations, allocations familiales, congés payés, semaine de quarante heures, qui méritent bien, en passant, un coup de chapeau.
Quant à moi, je n'ai jamais oublié l'allégresse de ce soir où le peuple de Paris, déambulant sur les boulevards, bras dessus, bras dessous, joyeux et fraternel, plein d'espoir dans l'avenir, fêtait sa victoire. Je retrouvais cette image de la France que tous les hommes libres dans le monde avaient imaginée, à travers les œuvres de Montaigne, de Montesquieu, de Molière, de Michelet, de Péguy, de Bernanos: ces grands esprits qui en avaient fixé les traits admirables.

 

LA BELLE FRANCE

Sur la route du passé
Vois-tu venir la France?
Quell' bell' garc'! la riguedondé!
Dans ses beaux habits brodés
Couleur d'espérance!
Elle a des yeux étoilés
Quand ell' marche ell' danse!
Forte en gueule l'esprit salé,
Quel air! Quelle aisance!
Sur la route du passé
Vois-tu venir la France?
Le cœur vif, le corps racé,
La rigue, la riguedondé.

Vive la rose rouge.

Dorée comme épi de blé
Dès son adolescence
A couché, la riguedondé!
Avec ses rois bien râblés
La belle alliance!
Ont ma foi bien travaillé
À chaque délivrance
Accouchait d'une cité
Terre de plaisance!
Terre à vigne, terre à blé,
Elle a grandi, la France,
A rempli son beau grenier,
La rigue, la riguedondé.

Vive la rose rouge
Et le joli bleuet.

A vu naître Rabelais
La force dans l'outrance
Et Montaign' la riguedondé!
Autre aspect de sa beauté,
Mesure, indulgence,
Palissy, le grand Condé,
Science et vaillance
Sur les siècles a navigué
Séduisant la chance,
A fleuri comme un bouquet
Dont les riches nuances
Vont de la rose au muguet,
La rigue, la riguedondé.

Vive la rose rouge
Et le joli bleuet,
Qu'à mon bouquet j'ajoute!

Elle a souffert, a lutté
Pour son indépendance,
A chanté, la riguedondé!
L'amour et la liberté
Mais, désespérance,
A vu le fruit se gâter,
Là, trop d'abondance
Ici, trop de pauvreté,
Trop de différence!
Son grand cœur s'est révolté
Reprenant sa balance
A rêvé d'Égalité
La rigue, la riguedondé!

Vive la rose rouge
Et le joli bleuet,
À mon bouquet j'ajoute
Un peu de blanc muguet.

Sur la Bastille a sauté
La Carmagnole dansé!
Citoyens! La riguedondé!
Salut et Fraternité!
Vive l'espérance!
Le soleil faisait monter
La bonne semence
Mais les gros rats empestés
Ceux de la Finance,
Et leurs féodalités
Oh! La sinistre engeance!
Ont corrompu la Cité
La rigue, la riguedondé!

Vive la rose rouge
Et le joli bleuet,
À mon bouquet j'ajoute
Un peu de blanc muguet.

Mais entendez-vous monter
Du fond du grand silence
Cet appel, la riguedondé
De tous les déshérités
Assez de souffrances!
Mur d'Argent! Obscénité!
Ombre sur la France!
On te refera sauter
Un jour, patience!
Liberté, Égalité,
Ces grands noms qui t'offensent
Redeviendront vérité!
La rigue, la riguedondé! Hé!

Vive la rose rouge
Et le joli bleuet,
À mon bouquet j'ajoute
Un peu de blanc muguet.

Alors, au soleil d'été,
On verra la France,
Qu'elle est bell' la riguedondé!
Saluant l'humanité
Marchant en cadence!
A ses grands yeux étoilés
Le ciel se fiance
Elle est comme un beau voilier
Sur la mer qui danse!
Terre de la Liberté,
Ô France, douce France
Alors nous pourrons chanter
La rigue, la riguedondé.

Le rouge de ta bouche,
Le bleu de ton œil frais,
La blancheur de ta joue,
Voilà notre bouquet
Français.

Paris, 1936
© Fondation Jean Villard-Gilles