DU NOUVEAU, TOUJOURS DU NOUVEAU

L'homme autrefois vivait en sage
Les jours s'écoulaient lentement,
- le baptême, le mariage –
On faisait de la belle ouvrage
L'amour procurait des enfants
Et c'était bien de l'agrément.
Mais aujourd'hui, je le proclame,
Depuis que les nobles chevaux
Ont cédé leur place et leur âme
À des chevaux vapeur, Madame,
Nous d'mandons à tire-larigot:
Du nouveau, toujours du nouveau

La mode, chez les bisaïeules,
Durait longtemps. Ça c'est gâté:
Messieurs, ouvrez vos portefeuilles
Voici vos trésors qui s'effeuillent
- saison d'hiver, saison d'été –
Par les modistes dévastés.
Leurs chapeaux sont bouquets, bombonnes,
Saladiers, légumes, gâteaux.
Ils ressemblent à des trombones
À des bateaux, des saxophones
À tout quoi, sauf à des chapeaux !
Du nouveau, toujours du nouveau.

Un très illustre funambule
S'élançait sur un fil d'acier.
Quelqu'un trouva ça ridicule
Et pour faire mieux, cet émule
S'lança, lui, sans balancier:
Ça fit trembler les épiciers.
Un autre alors – chose étonnante –
Inventa, comble du culot,
De supprimer sans plus d'attente
Le fil d'acier qui le sustente.
Du coup, il se brisa les os.
Du nouveau, toujours du nouveau.

Autrefois les héros antiques
S'assommaient à coups de bâtons.
On fit mieux, on créa la pique,
Puis des engins bien plus pratiques,
De l'arbalète au mousqueton
Pour se taper sur le citron.
Aujourd'hui, grâce à la technique,
On alimente les tombeaux
D'un' manière apocalyptique
- tanks, lance-flamm's et trucs chimiques –
Messieurs les techniciens, bravo:
Du nouveau, toujours du nouveau.

L'électricité nous éclaire,
Nous eûmes le gaz, l'huile et le suif,
Mais si par suite de la guerre
Le cuivre manquait sur terre,
Plus d'continu, d'alternatif,
Y a de quoi s'arracher les tifs:
Sans charbon, sans huile, sans essence,
Comment éclairer nos travaux ?
Nous aurons mieux – du moins je pense –
Les éclairs de l'intelligence
Et les lueurs de nos cerveaux.
Du nouveau, toujours du nouveau.

Hier, l'aigle et l'ours ont fait un pacte,
A la surprise des badauds,
Aujourd'hui, après un entracte,
Ils tombent comme cataracte
L'un sur l'autre, en s'traitant d'salaud
À la surprise des badauds.
Ça fait bien dans le paysage,
Sans compter que pour les journaux
C'est du chouett' pour la mise en page:
Incendies, destructions, carnages,
Qu'on déguste à l'heur' d'l'apéro.
Du nouveau, toujours du nouveau.

On a fait des automobiles
Avec le moteur par devant.
Mais des ingénieurs plus habiles
Les posent (ça fait projectile)
Ayant mis le derrière devant,
Par derrière, dorénavant.
L'auto qui roule, l'avion qui vole,
Le ciel et la terre vaincus,
On pourrait faire mieux – parole! –
Si à la Terre, cette folle,
On foutait une hélice au… au dos!
Du nouveau, toujours du nouveau.

Bondissant hors de son orbite,
La planète, perdant le nord,
Entraînant son vieux satellite
Toujours plus haut, toujours plus vite
- effarante course à la mort –
Foncera sur le soleil d'or!
Et nous cramponnés au bolide,
Dans les champs intersidéraux,
Nous roulerons, vidés, livides,
Vers les gouffres de feu liquide,
Sans comprendre, en gueulant: "Bravo!
Du nouveau, toujours du nouveau".

16 septembre 1941
© Fondation Jean Villard-Gilles