Introduction au texte de la chanson "Frauenverein"
Tiré du recueil "Amicalement Vôtre" de Gilles, paru aux Éditions Pierre-Marcel Favre à Lausanne en 1978

Dialogue entre Jean (Villard) et Gilles:
Jean
Il y a aussi le Petit Muveran et la Grande Scheidegg…
Gilles
…Le Grand Combin et le Petit-Saconnex. Nous sommes riches en sites et en points de vue, en paysages célèbres.
Jean
A Genève, le mur de la Réformation…
Gilles
…A Berne, le Palais fédéral, le Lion à Lucerne…
Jean
…A Zurich, la Bahnhofstrasse…
Gilles
…et le Frauenverein!
Jean
Ça, nous n'avons pas!
Gilles
Quel dommage… Ah, ces dames nous manquent. Nous ferons bien de les écouter quand elles exposent leur programme.

 

FRAUENVEREIN

Nous sommes le Frauenverein,
Notre devis' est toujours: nein!
Nous avons voulu un' bonn' fois
Fair' marcher droit les Zurichois.
Ils étaient forts, aux temps anciens.
Pour taper sur les Autrichiens.
Et pis comment, à tour de bras:
Sempach, Naefels, etc.
Avec ceux d' Schwytz, avec ceux d' Bern'
A coups d' pics et de morgensterns!
Mais maint'nant, c'est les temps modern's.
Fertig avec les morgensterns,
Y doiv'nt travailler sérieus'ment,
Rentrer l' soir à l'appartement!
Si le papa a bien lutté,
Pour conquérir la liberté,
L'a obtenu c' qu'il a voulu;
Alors maint'nant, n'en parlons plus.
Car nous sommes tout's là pour dir': Nein!
La devis' des Frauenverein!

Nos hommes doiv'nt se mett' dans la têt'
Qu'il faut avoir d' la Grundlichkeit.
Se lever tôt pour travailler;
Et l' soir les plaisir du foyer,
De l'Apfelmost et des Knopflis,
Un Stump, et pis allez! Au lit!
Voyant qu'ils voulaient résister
- ce sale esprit de liberté –
On a forcé l' gouvernement
À fermer les établiss'ments,
Kino, Wirtschafts und Brauerei,
À onz' heur's tapant: Polizei!
Alors ils rentr'nt à la maison;
Ils filent tout doux, ils ont raison,
Car rien à l'homm' ne fait plus peur
Qu'un Frauenverein en fureur!
Et c'est fertig, mit Bier und Wein
Grâce à nous les Frauenverein!

Fertig auch, avec ces sal's femm's,
Qui s' promènent sur le macadam,
Les ongles peints, l'œil au rimmel,
En promettant le septièm' ciel!
L'amour, bei uns, comme il se doit!
Se fait, grundlich, un' fois par mois.
C'est trop pour la moralité,
Mais nécessaire à la santé.
Cett' chose, on doit le déclarer,
C'est une reine Schweinerei
Mais il faut fair' la part du feu…
On la fait, mais on la fait peu…
Comm' ça nos maris, au bureau
Sont en form' pour les bordereaux
Car, ils doiv'nt gagner d' l'argent
Pour embellir l'appartement!
Ainsi, ils sont fleissig und rein
Grâce aux soins du Frauenverein!

Mais en Suiss' malheureusement,
Il exist' des cantons romands,
Où règne, on doit le constater,
Un' regrettable liberté.
Ils sont pas comm'  nos Zurichois,
Là, c'est les homm's qui font la loi.
Alors, vous voyez c' que ça donn':
Genève, c'est pir' que Babylon'
Et à Lausanne, comme à Paris,
Il y a des bars ouverts la nuit,
Où l'on se saoule avec l'alcool!...
Et là-bas, tout's les femm's sont foll's
Ces Welch's ne connaiss'nt pas vraiment
Le sérieux dans l'amusement!
Et leurs femm's qui font d' la toilett'
Ell's ont vraiment rien dans la têt'…
Car chez ces poupées, es gibt kein
Aber gar kein Frauenverein!

Dès aujourd'hui en vérité,
Les dam's de la bonne société
Impos'ront à la race humain'
Le programm' des Frauenverein:
Fermetur' des lieux de plaisir
Organisation des loisirs;
On fait à fond le vendredi,
Le lundi et le mercredi;
Le mariage obligatoir';
Le café au lait sans passoir';
Plus de fards, et plus de frous-frous,
Et pour les dessous, du pilou!
L'homme au travail dix heur's sur douz',
Porte tout' sa paie à son épous',
À neuf heures, tout l' mond' est couché!
Et comme ça, ça pourra marcher,
Quand partout comm' un Sonnenschein
Régneront les Frauenverein!

Comano, 1943
© Fondation Jean Villard-Gilles