LAUSANNE

Dominant la large gouille
Qu'on nomm' le bleu Léman,
Où le pays s' débarbouille
Et se mir' joliment,
Évêché et capitale,
Lausanne au flanc d'un coteau,
A planté sa cathédrale,
Son école et son château.

Sonn' donc, grosse abeille,
Sonn' donc, gros bourdon !
La ville s'éveille
Au son de ta chanson.

Son pied caresse l'eau douce,
Son front près des grands bois
Se pos' sur un lit de mousse
Dans le Pays vaudois.
Sa main droite fait des signes
Aux champs, aux vergers en fleurs,
Sa main gauche tient la vigne;
N'est-ce pas la main du cœur?

Sonn' donc voix des anges,
Sonn' donc, joli son,
Sonn' pour la vendange
Et pour la fenaison!

Saint-François, cœur de la ville,
Est une exposition
Rétrospective des styles
De toutes les nations:
Néo-grec et Renaissance
Mil neuf cent et munichois,
Et presque totale absence
De quelque chose de vaudois!

Sonn' donc, sonne, cloche,
Sonn' donc, gros bourdon,
Pour ces œuvres moches
Implor' notre pardon!

Ces temples de la finance
Sont bâtis, mes enfants,
Ma foi, à la ressemblance
Du Dieu nommé l'Argent!
Mais, tout près, la vieille église,
Simple et pure dans ses atours,
Montre, en sa mesure exquise,
Ce que peut créer l'amour!

Sonn' donc, cloche fière,
Sonn' sur Saint-François!
C'est Dieu notre Père
Et c'est pas l'Argent-Roi!

La ville en creux et en bosses,
En collin's, en vallons,
Pour faire rouler ses carrosses,
Leur a construit des ponts.
Mais sous leurs arches de pierre,
Assurant la liaison,
A la place de rivières,
Il y coule des maisons.

Sonn' donc, cloche, sonne,
Sonn' sur le Grand-Pont,
Sonn' sur la Riponne
Et sonn' sur Montbenon!

A Lausanne, y a des pintes,
Le vin nous rend si forts
qu'on irait partout sans crainte,
mais oui, braver la mort!
On prend d'assaut la planète,
Mais soudain, en plein élan,
Le héros s'écrie "Charrette,
Et la bourgeois' qui m'attend!"

"Sonn' donc, grosse cloche;
Ma femme au plumard
Va m' sonner les cloches,
Ça va fair' du pétard!"

Le marché sur la Riponne,
Puis l'Université
Dessus la cloche qui sonne;
Voilà notre cité!
Car le charme de Lausanne,
C'est qu'elle est, en vérité,
Une belle paysanne
Qui fait ses humanités;

Sonn' donc pour l'école
Le grand branle-bas.
Les volées s'envolent,
Mais l'esprit ne meurt pas!

1941
© Fondation Jean Villard-Gilles