Introduction au texte de la chanson "Soucoupes volantes"
In "Chansons que tout cela" de Gilles, nouvelle édition augmentée, paru aux Éditions Rencontre à Lausanne en 1970

Pour nous distraire de nos soucis, après le monstre du Loch Ness, voici qu'apparaissent et disparaissent mystérieusement fondus dans la lumière du ciel, des engins étranges, silencieux, qui mettent la grande presse sur les dents. Cent témoins dignes de foi les ont vus, ce sont les

SOUCOUPES VOLANTES

Croyez-vous aux soucoup's volantes?
Pourquoi pas? Le fait est troublant.
Ce serait la preuve évidente
Qu'il existe ailleurs des vivants.
Comment sont-ils, ces astronautes?
En quell' matière? Petits ou grands?
Ont-ils deux têt's, un' jamb', pas d' côtes?
Sont-ils plats, carrés, transparents?
En forme d'obus, de trombone?
Picassiens, non figuratifs?
Amateurs d'oxyd' de carbone,
Le meilleur des apéritifs?
Ont-ils des vices, des complexes,
Des perversions et des passions?
Pas de sexe ou un troisième sexe
Et un' quatrièm' dimension?

Qu'on se le dise, il y a du monde
Ailleurs que chez nous, les Terriens,
Du monde qui voyage à la ronde,
Qui s'intéresse à notr' mappemonde
Et qui rôde autour, min' de rien!

Ces soucoup's qui vol'nt dans l'espace
Gardent, jalouses, leur secret.
Ell's s'en vont sans laisser de traces.
Mais qu'ont-ils vu, ces gens discrets,
Sur ce globe qui les écoeure?
Sont-ils tombés sur McCarthy?
Ont-ils vu, sur l'assiette au beurre,
Se ruer tous nos grands partis?
Est-c' l'odeur de la press' pourrie
Qui les dégoûte? L'été pourri?
Les nichons d' Carolin' chérie?
L'œil de Moscou, le Tout-Paris?
Ont-ils noté pour les traduire
Nos fameux sigles bien connus
Qui parlent haut pour ne rien dire,
Nos C.E.D., nos O.N.U.?

Qu'on se le dise, il y a du monde
Ailleurs que chez nous, les Terriens,
Du monde qui voyage à la ronde,
Qui s'intéresse à notr' mappemonde
Et qui rôde autour, min' de rien!

On voudrait fair' leur connaissance
À ces gens, mais ils fout'nt le camp,
Saisis sans doute par l'évidence
Que nous dansons sur un volcan;
Que l'homme est un type impossible,
Qu'un jour il fera tout sauter
Au nom de Marx ou de la Bible,
En gueulant: "Viv' l'humanité!"
Certes, la Terre est admirable,
Pensent-ils? Ses quatre saisons,
Ses beaux sites, ses bonnes tables,
Ses grands horizons, ses visons!
On pourrait y vivre à sa guise
Fort bien, parmi ses champs féconds,
Mais les grands chefs qui la conduisent,
Sont vraiment un p'tit peu trop…!

Qu'on se le dise, il y a du monde
Ailleurs que chez nous, les Terriens,
Du monde qui voyage à la ronde,
Qui s'intéresse à notr' mappemonde
Et qui rôde autour, min' de rien!

L'hypothèse que je hasarde
Pourrait être valable, à moins
Que ces gens-là n' soient l'avant-garde
D'une armada venue de loin
Pour nous réduire en esclavage
Ou foutre en l'air notre univers!
Peut-être alors serait-il sage,
Renonçant à nos jeux pervers,
Grande Asie et petite Europe,
Blocs enfarinés, faux accords,
Traités fumeux de misanthropes,
Devant ce nouveau coup du sort,
De bâtir, sur la boule ronde,
Mais vite avec son contenu,
Les vrais Etats-Unis du monde
Pour sauver l'homm', cet inconnu!

Qu'on se le dise, il y a du monde
Ailleurs que chez nous, les Terriens,
Du monde qui voyage à la ronde,
Qui s'intéresse à notr' mappemonde
Et s' défile en douc', min' de rien!

Port-Manech, juillet 1954
© Fondation Jean Villard-Gilles