Introduction au texte de la chanson " Écho d'Onusie"
In "Chansons que tout cela" de Gilles, nouvelle édition augmentée, paru aux Éditions Rencontre à Lausanne en 1970

Je suis incorrigiblement du côté de l'espoir. Ce doit être une tare congénitale. La S.D.N. défunte transformée en O.N.U, s'emploie à sauver les bidons au moyen de discours que personne n'écoute et de statistiques qui ne prouvent rien. Elle est encore empêtrée dans son costume trop neuf. Les palabres alternent avec les réceptions.

ÉCHO D'ONUSIE

Genèv' – New York – Londr's – Paris…
Leurs Onusiennes Excellences
Sans se lasser mènent la danse
De la paix sur un pot-pourri
De guerre froide. Hop! En cadence!
Lunettes d'or et teint fleuri,
Quand c'est fini, ça recommence.
Genèv' – New York – Londr's – Paris.

Dans leur palais, quand l'heure sonne,
-    Mi-vodka, mi-Coca-Cola –
Personne n'écoute personne.
Mais on entend le bruit des rats
Dans le fromage qui bataillent.
Un délégué lance, un peu gris:
-    Pour la paix, mon porto travaille!
-    Porto pour marteau – quel esprit!
Ce trait dans les hebdomadaires
Aura, mon cher, un succès fou.
-    Mais chut! Voici, lourd de mystère,
Grostamolof, l'œil de Moscou!
-    Un drink? Les Français nous agacent,
Dit Mister Smith de Chicago.
Courbette. Un ministre qui passe,
Chafouin, mielleux, retors, cagot.
- Excellence! – Car il excelle
À noyer le poisson, les mots
De sa mächoire d'or ruissellent.
Il s'intéresse aux Esquimaux.
-    Chocolat glacé? – Gras des fesses,
Un gros pacha, l'œil injecté
D'orgueil, communique à la presse
Son discours sur la liberté,
Tandis que les faubourgs du Caire
Grouillent d'un peuple mort-vivant
Dont l'indescriptible misère
N'entre pas dans son boniment.
-    Un drink? Martini? Jus d'orange?
Un Hindou passe, noble et fin.
La famine est au bord du Gange.
-    Sandwich, sir? – No!  Il n'a pas faim!

Discours. Vetos. Rapports. Messages.
On voit alterner au micro
Des juristes et des rois mages
Qui présentent leur numéro.
Les sténos recueillent, humide,
Ce pollen international
Qu'elles font sécher, insipide,
Dans les plis d'un procès-verbal.
Si quelque vérité résonne,
Sa voix clame dans le désert:
Personne n'écoute personne.
Mur d'argent et rideau de fer.
Un dieu, un seul, la statistique.
Tout lui est bon. L'esprit, le corps.
Le typhus exanthématique.
Le charbon, la drogue et la mort.
Que fait l'homme en cette galère?
Après l'uranium ou l'acier
Il faut pour qu'on le considère,
Qu'il puisse entrer dans un dossier.
Car les ministres, diplomates,
Délégués, administrateurs,
Macérés dans les aromates
Du pouvoir et de la grandeur,
Oublient les faubourgs sinistres,
Le pain dur, les cœurs sans espoir,
Les yeux d'enfants cernés de bistre,
Les ventres creux, les taudis noirs,
Car sous leur forme statistique
Les déclassés enfin classés
N'ont-ils pas un' vie idyllique
Dans leur lit de papier glacé?

La Paix! Voilà le mot magique.
Enfin, le jeu va commencer.
Quarante joueurs athlétiques
Sur ce ballon se sont lancés.
On voit les champions du phosphate
Contrer les gars de l'uranium;
Le pétrole et ses acrobates
Bombarder le front de l'opium!
Le ballon comme la colombe
Vole, tournoie, monte au plafond,
Disparaît, rejaillit, retombe.
Washington fait un nouveau bond
Avec son équipe atomique,
Mais les Soviets, bien exercés,
En ont une presque identique
Qui s'avance au pas cadencé!
L'arbitre siffle. Enfin, la pause
Entre deux manch's. C'est pas trop tôt!
De jolies femmes blondes, roses,
Avec grâce offrent des gâteaux.
Demain, soirée au Ministère
Des beaux-arts, un ministre exquis!
-    Excellence, aurons-nous la guerre?
-    Contre quoi, mon cher? Contre qui?
C'est absurde! – Mais la Corée?
Et l'Indochine… et caetera?
-    Un peu de fièvre avec diarrhée.
Trois fois rien. Ça se tassera!
-    Tous ces morts! – Mon Dieu, c'est la vie.
La mort, c'est la vie du soldat.
D'ailleurs, mourir pour la patrie…
Allons prendre un whisky-soda!

Raguenès-en-Névez, août 1952
© Fondation Jean Villard-Gilles