Introduction au texte de la chanson "Sic Transit Gloria Mundi"
Tiré du recueil "Chansons que tout cela" de Gilles, nouvelle édition augmentée, paru aux Éditions Rencontre à Lausanne en 1970

N'y pensons plus. Nous avons Sartre et l'existentialisme, le non-figurativisme, le lettrisme, l'anticommunisme, le néo-fascisme, le parlementarisme, le paternalisme, le scandalisme, le Tour de France cycliste et le Réarmement moral. De quoi occuper largement nos journées, les hommes passent, les régimes passent, tout lasse, tout casse, même la gloire du monde!

SIC TRANSIT GLORIA MUNDI

Un vieux château dans le Poitou.
Le baron. Son valet, c'est tout.
–  Vous m'avez sonné ? – Oui, Baptiste.
Dites-moi, que fait l'Empereur ?
–  Il est mort – Mon Dieu, que c'est triste!
–  Joséphine aussi. – Quel malheur!
Napoléon et Joséphine,
Que reste-t-il de ces grands noms ?  
–  Mais Monsieur, il reste la fine,
Oui! La fine Napoléon!

Sic transit gloria mundi,
–  Quel jour sommes-nous donc ? – Lundi!
–  Dites-moi donc, mon cher Baptiste,
Que savent encore les Français
Des Bourbons ? Soyez réaliste,
La vérité ? – Monsieur, on sait
Qu'au Louis XIV on déjeune,
Que, pour les meubles de salon,
Le Louis XVI fait plus jeune,
Que Louis XV est un talon!

Sic transit gloria mundi,
Le Mardi Gras est un mardi.

Un vieux château dans la Poitou.
Le baron. Son valet, c'est tout.
–  Vous m'avez sonné ? – Oui, Baptiste.
Parlez-moi de Monsieur Hitler.
–  Disparu! – un si bel artiste.
Maître chanteur à Nüremberg!
Et Benito, cabot sublime ?
–  Il tirait trop sur ses effets,
Son public, lassé de ses mines,
Lui a fait le coup du crochet!

Sic transit gloria mundi,
Le jour des Cendres, mercredi.

–  Dites-moi donc, mon cher Baptiste
À propos, que devient l'honneur ?
–  Y n' vaut pas cher! – Oh! Que c'est triste!
–  Non, l'honneur n'est plus à l'honneur!
Traîtres, bourreaux, même la chienne
De Buchenwald, on blanchit tout.
La gloire redevient prussienne.
Nos héros ne sont plus dans l' coup.

Sc transit gloria mundi,
Semaine des Quatre Jeudis.

Un vieux château dans le Poitou.
Le baron. Son valet, c'est tout!
–  Vous m'avez sonné ? – Oui, Baptiste.
Que fait donc le gouvernement ?
–  Rien, Monsieur, car immobiliste,
À la Chambre il dort doucement.
–  Et que devient la République,
Entre les partis, les factions ?
–  Elle se meurt bureaucratique,
D'une mauvais' Constitution.

Sic transit gloria mundi,
On fera maigre, vendredi.

–  Mais encore, fidèle Baptiste
L'Europe, vous n'en parlez pas!
–  Saturée de doctrin's en iste
Elle aussi risque le trépas.
Reine si longtemps couronnée
De génie et de grâce aussi,
Elle gït dolente et ruinée
Entre deux blocs mal dégrossis!

Sic transit gloria mundi,
Fin de semaine, samedi.

Un vieux château dans le Poitou.
Le baron. Son valet, c'est tout.
–  Vous m'avez sonné ? – Oui, Baptiste.
Le monde est foutu. Dieu est mort.
Monsieur Sartre existentialiste
L'affirme, et ce Sartre est très fort.
–  Monsieur, la fleur et l'herbe poussent
L'esprit crée et la main bâtit.
La France existe belle et douce
Malgré la Chambre et les partis.
Les cloches sonneront dimanche!
Un enfant naît! Tout rebondit!

Comme un bourgeon vert sur la branche,
L'espérance a pousés son cri!
Et l'honneur aura sa revanche
Ad majorem gloriam Dei!

Hossegor, août 1951
© Fondation Jean Villard-Gilles